
Interview : Fatemah Eftekhari, l'étoile filante d'Ispahan
13 Juillet 2023INFO | paragliding
Fatemeh est l'une des rares pilotes iraniennes à avoir atteint un haut niveau, réalisant des distances de vol incroyables (241 km de Kermanshah à Hamedan). Il y a quelques années, lors d'un voyage en Iran, l'équipe de l'APPI a repéré son potentiel et l'a encouragée à poursuivre une carrière d'instructrice. La voici aujourd'hui, apportant sa singularité à la communauté. Entretien avec une femme exceptionnelle!
📣 Comment avez-vous découvert le parapente, et qu'est-ce qui vous a attiré dans ce sport aérien?
Dès mon plus jeune âge, j'ai pratiqué différents sports, mais au fond de moi, j'avais un profond désir de voler. C'était un rêve récurrent pour moi de m'élever dans le ciel. Un jour, par hasard, je suis tombé sur une publicité pour le parapente. Bien que n'ayant aucune connaissance préalable à ce sujet, je me suis inscrite avec enthousiasme au cours. Dans le groupe, j'étais la plus enthousiaste et j'ai rapidement assimilé les techniques. Abandonner n'a jamais été une option pour moi !
📣 Parlez-nous de vos vols les plus mémorables
Mon vol le plus mémorable a eu lieu il y a 12 ans, lorsque pour la première fois j'ai volé avec deux aigles.
C'était près de mon site de vol fétiche, dans la province d'Ispahan. Ils m'ont suivi dans les thermiques et nous avons volé pendant des heures ensemble ! Ils étaient vraiment là pour voler avec moi, c'était incroyable et stupéfiant, ils me regardaient. Pour la première fois, j'ai eu l'impression d'être l'une d'entre eux, avec la même règle, le même rythme, juste pour voler. Je n'oublierai jamais ce moment.
J'ai également vécu beaucoup d'autres moments mémorables avec toutes les personnes que j'ai rencontrées au fil de mes vols. Je sais toujours où et quand je décolle, mais jamais où et quand je vais atterrir et qui je vais rencontrer. Les gens sont accueillants avec les gens du ciel, ils vous laissent entrer, vous êtes proche d'un grand nombre de personnes de culture et d'atmosphère différentes. J'ai vécu des expériences extraordinaires en Iran, au Kazakhstan, en Arménie, en Turquie, en Europe... Des provinces, des cultures et des langues différentes. C'est toujours agréable et c'est toujours quelque chose où je suis gagnante.
📣 Quels sont les défis les plus importants auxquels vous avez été confrontée en tant que femme pilote de parapente en Iran ? Avez-vous rencontré des obstacles ou des préjugés dans votre parcours ?
J'ai rencontré des difficultés lorsque j'ai commencé il y a 15 ans, à une époque où très peu de femmes pratiquaient le parapente. Les instructeurs ont d'abord douté de mes capacités parce que j'étais une fille. Cependant, j'ai trouvé un instructeur qui m'a soutenue et qui a cru en moi. Au fil du temps, je suis devenue une pilote expérimentée, remettant en cause le stéréotype selon lequel les filles préféraient la sécurité, celui où la société nous plaçait.
Une fois, j'ai rencontré une fille qui m'a dit qu'elle voulait faire du cross-country et du vol thermique sérieusement. Son instructeur a essayé de l'en dissuader. Lorsqu'elle m'a dit "je connais cette fille, Fatemeh, elle fait du cross-country", son instructeur a répondu "ce n'est pas une vraie fille". J'étais confrontée au fait que lorsque la société ne veut pas que vous fassiez quelque chose, tous les arguments sont bons, même si cela implique de remettre en question mon genre ! Je ne pouvais pas croire ce que j'avais entendu : Je ne suis même pas un garçon manqué, je suis très girly!
Pour remédier au manque de participation féminine, mon instructeur et moi avons organisé un cours de cross-country exclusivement réservé aux femmes. Croyez-moi ou non, il m'a fallu trois ans pour convaincre cinq filles de s'inscrire à ce cours!  ; Finalement, une autre fille a accompli un vol de 100 km, et nous avons toutes les deux ressenti une immense joie. Aujourd'hui, d'autres filles en Iran ont franchi cette étape, et le record féminin iranien est désormais détenu par quelqu'un qui n'a jamais volé avec moi ni même participé à mes cours.
Mon parcours m'a fait prendre conscience de l'existence d'un toit imaginaire qui limite les aspirations des femmes. Bien que je n'aie pas été confrontée personnellement à des défis importants, j'ai été témoin de nombreuses femmes qui y étaient confrontées. Je leur dis toujours : "Avant de poursuivre vos rêves, vous devez être capable de rêver grand", plus grand que ce toit imaginaire, et nous devons faire de notre mieux pour pouvoir atteindre n'importe quoi.
📣 Quels défis avez-vous relevés pour devenir monitrice de parapente ?
Il n'y a pas beaucoup de femmes monitrices, il m'a fallu des années pour prouver que j'étais une très bonne pilote (pas parmi les femmes, mais parmi tous les pilotes). Il m'a fallu beaucoup de podiums. Lentement, les gens ont commencé à s'inscrire à nos cours avec Mohammed, non pas à cause de son nom (Mohammed est l'un des plus célèbres instructeurs de cross country en Iran) mais aussi à cause du mien.
En tant que femme, vous devez être dix fois plus compétente, avoir dix fois plus de capacités, dix fois plus de patience, tout dix fois plus, et alors vous êtes égale dans l'esprit de tout le monde.
J'ai eu de la chance jusqu'au bout, je suis allée au bon endroit, j'ai eu un bon moniteur et un beau-frère très encourageant.
📣 Comment en êtes-vous venue à créer votre propre école de parapente ? Quelles valeurs cherchez-vous à inculquer à vos élèves ?
J'ai créé cette école en coopération avec Muhammed (mon ancien instructeur et très bon ami : un cadeau pour tous les pilotes d'Iran) et mon beau-frère (l'un des premiers instructeurs de parapente en Iran). Ils étaient tous les deux de très bons pilotes mais j'ai vu que je pouvais apporter ma façon d'organiser et de gérer. Je leur ai donc demandé de me laisser faire, et ça a marché !
Nous avons les mêmes objectifs : réaliser les rêves des gens et les aider à grandir. Nous avons créé l'école, et maintenant nous sommes l'une des meilleures et des plus grandes écoles de parapente en Iran, ce dont je suis vraiment fière.
📣 Pourriez-vous partager une anecdote ou un moment marquant de votre expérience en parapente qui vous a laissé une impression durable ?
Mon succès est que j'ai réussi à amener d'autres femmes à devenir des pilotes sérieuses et de bonnes instructrices. Je me souviens que lorsque j'étais jeune, j'étais très fâchée de ne pas pouvoir faire du vélo dans la rue. À l'époque, un gouvernement religieux strict pouvait arrêter les filles pour cette raison. Je me souviens que mon père m'a dit : "Ok, tu fais quelque chose qui n'est pas normal. Si tu penses que c'est bien de faire du vélo, fais-le, mais tu dois savoir que tu te bats, que tu participes à une guerre, à un combat. tu ne dois pas te plaindre, pleurer ou être déçue. Je te soutiens pleinement, mais saches que c'est toi qui assumeras tes choix". Toutes les autres expériences que j'ai vécues allaient dans le même sens : si on fait quelque chose qui n'est pas "normal", alors il faut savoir que c'est un combat et qu'il faudra assumer les consequences. Mais il faut faire de son mieux et s'y tenir. J'ai eu la chance d'avoir toutes ces personnes extraordinaires autour de moi.
📣 Pourquoi avez-vous choisi le système APPI pour votre école ? Quel rôle joue le système APPI dans votre vision du parapente?
Nous avions notre système interne, mais découvrir le système APPI nous a permis de mieux le structurer, et de faciliter beaucoup de choses. C'était la combinaison parfaite avec ce que nous avions, cela a comblé le vide. Grâce à APPI, je suis en contact avec des personnes du monde entier et je comprends leur façon d'enseigner. APPI est un système évolutif, et en constante évolution. En plus de mon activité de parapentiste, je vends deux marques de parapente au sein de l'entreprise familiale qui distribue des produits dans mon pays, et je suis également instructeure de kitesurf. Mais maintenant, je veux me concentrer sur le parapente. Je veux le faire tout le temps !
Il n'est pas facile de trouver un équilibre entre toutes mes activités. Je ne sais même pas si j'y suis parvenue, mais quand on aime quelque chose, on ne se fatigue pas. Je suis heureuse d'avoir toutes ces activités, avec ma famille.
📣 Y a-t-il autre chose que vous aimeriez partager ?"
Merci d'accorder une attention particulière aux femmes, je pense que nous en avons particulièrement besoin dans le sport. Et je voudrais remercier l'APPI, qui m'a beaucoup aidée à obtenir ma première licence d'instructeur et m'a donné la motivation nécessaire pour m'impliquer plus professionnellement dans le parapente. C'est un honneur pour moi de faire partie de cette famille !